Le pot de billes
C’était un vendredi et je ne travaillais pas pour l’école ce jour-là; je n’aurais donc pas dû lire mes mails. Mais à l’époque c’était plus fort que moi, même en jour off mes différentes messageries étaient ouvertes et j’allais y jeter un œil de temps en temps « juste pour voir ».
C’est là que je suis tombée sur CE mail. LE mail qui, finalement, a été une vraie source d’inspiration.
Stéphane était l’un de nos délégués de classe. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il prenait ce rôle très à cœur. A l’écoute de ses camarades, il n’hésitait jamais à nous envoyer l’une ou l’autre demande.
Comment résumer mon sentiment à la lecture de son message ce 29 octobre 2021 ? En toute transparence, je dirais humblement que… j’ai «pété un câble ».
Au plus je le lisais, au plus je palpitais : « Les étudiants sont écœurés », « mal encadrés », « exploités », « lieux toxiques », « anti-pédagogique », « plus foi en l’école ».
Et l’apothéose quand Stéphane proposait que l’institution « fasse une nouvelle vague de promotion pour soutenir les étudiants, leur rappeler qu’ils peuvent avoir confiance en l’école, qu’ils peuvent aller vers les professeurs pour discuter ou se faire aider, qui sont les personnes ressources, que l’école met à disposition des outils et lesquels, proposer une cellule de crise pour les étudiants… »
Cette colère que je ressentais, c’était surtout une frustration gigantesque : toutes ces propositions existent ! L’information est donnée et répétée par différents canaux de communication… Soutenir les étudiants, c’est une grande partie de notre job de Référentes. Je pense que j’avais le sentiment de ne servir à rien ou du moins à pas grand chose.
Au plus je lisais ce message kilométrique (oui, Stéphane aime écrire de longs mails), au plus je m’énervais.
Que faudrait-il faire dans ces cas-là ? Prendre de la distance, quitter l’ordinateur, retrouver la famille, démarrer le week-end et laisser passer les émotions avant de répondre quoi que ce soit.
En plus, ce n’est pas à moi que le mail s’adressait, je n’étais qu’en copie. Fallait-il donc réagir ?
Mais qu’ai-je fait ?
En pleine conscience, j’ai pris mon téléphone, j’ai cherché le numéro et j’ai appelé Stéphane. Une petite voix a bien essayé de me dire « bad idea ! » mais je l’ai rapidement étouffée à coup de « ça va barder ! »
Je me vois encore exiger des explications : Pourquoi ce mail ? Pourquoi maintenant ? Que s’est-il passé exactement ? Pourquoi les infos mises à disposition ne sont-elles pas lues ? Pourquoi on ne nous écoute pas ?
Plein de « pourquoi » tout en tapant sur mon bureau. J’entends encore le bruit de ma bague contre la table. TAC ! TAC ! TAC !
Au plus ça sortait, au moins je me calmais. Sans doute parce qu’une partie de moi savait que ce comportement n’avait rien de constructif.
« Mais Madame… Si j’avais su… Je n’aurais pas envoyé ce mail… C’est juste que… vous savez… On en a marre de la pandémie. »
OMG. Il n’a pas dit ça !? Il a dit ça !? Oui, je pense qu’il a dit ça !
Et c’était reparti ! Comme une pièce glissée dans un jukebox, Stéphane demandait la suite de cet échange rock and roll. « Sans blague !? Non mais nous tout va bien, on adore cette histoire de COVID-19 ! »
J’avais besoin de comprendre. Qu’est-ce qui avait mis le feu au groupe ? Qu’est-ce qui avait fait que, alors qu’ils étaient sortis de stage pour passer une journée à l’école, ils étaient démotivés à ce point en début de leur dernière année académique ?
Stéphane m’a alors expliqué la pratique d’une forme d’exutoire : « On est ensemble et on en profite pour déverser tout ce qui ne va pas ».
– Et ? Ca sert à… ?
– Aller mieux.
– Ok, donc vous allez mieux là ?
– Non.
– Vous allez comment ?
– C’est pire.
La colère s’est tue directement pour laisser place à une sorte de vide.
Comment clôturer cet échange ? Il n’y avait pas grand chose à ajouter.
Le lendemain, la tête dans le lavabo de mon copain coiffeur (qui par ailleurs s’appelle Stéphane lui aussi), je digérais toujours les informations reçues. Et c’est là que cette image m’est venue. Il fallait que je la partage avec Stéphane !
– Allo, Stéphane ! C’est Madame Dedonder. Je t’appelle un samedi, désolée. Je repense à hier soir.
– Madame, je ne pensais pas que ça vous toucherait à ce point…
– Non, non c’est très bien. Ca m’a inspirée. Tu me diras ce que tu en penses ! J’ai besoin de ton avis.
Je lui ai expliqué le pot de billes : pour moi, chacun est arrivé à l’école avec un pot de billes pas bien plein pour diverses raisons. Ils pensaient qu’en déposant leurs sombres histoires, ils rempliraient leurs pots… mais tout ce que ça a fait, c’est que ça les a vidés davantage.
« Conclusion : prenez soin de votre pot de billes ! »
A l’heure d’écrire ce retour d’expérience, nous sommes le 30 mai 2023. Le pot de billes a trouvé sa place dans mes cours mais aussi dans mes conférences, mes formations et dans les salons auxquels je participe en tant que coach. C’est d’ailleurs l’objet de nombreux retours des participants : « Merci pour le pot de billes ! », « Ca m’a inspiré ! », « Le pot de billes, j’en ai tout de suite parlé à la maison », « Je pense toujours au pot de billes ; ça m’aide à prendre des décisions »… Certains m’envoient même des photos : « Petite pensée ; je fais le plein de billes ». D’autres en offrent à leurs collègues.
Et vous alors ? Vous en êtes où ?
Chaque jour au réveil je vous invite à vous poser la question : « Il en est où mon pot de billes ? »
Parce qu’une chose est sûre : tout au long de la journée, vous donnerez des billes. Vous en donnerez au boulot, à la maison, dans les transports, en faisant des courses, en consultant votre courrier ou vos mails…
Vous gagnerez aussi des billes. Vous en obtiendrez dans vos interactions, la pratique des activités que vous aimez, ce bon repas que vous avez préparé, ce soleil qui fait du bien, cette musique qui vous entraine, en lisant une bonne nouvelle…
Et malheureusement, il y a aussi des moments où vous en perdrez. Vous n’avez rien demandé ! Vous n’avez pas voulu donner des billes mais un trou dans le pot a créé une fuite. Par exemple, pour moi, regarder le journal télévisé ça a souvent tendance à me bouffer des ressources.
Prenez le temps de vous interroger sur ce qui vide votre pot et ce qui le remplit. Puis notez le plus petit pas possible pour faire le plein. C’est sûr que, pour moi, voyager à l’autre bout du monde permet de faire une super recharge… mais ce n’est pas une activité qui peut me fournir des billes au quotidien. Ce petit pas, il doit être accessible et dépendre de vous. Ne confiez pas la recharge de votre pot à une tierce personne. Chacun son pot !
Personnellement, depuis que cette idée a émergé je me balade avec une bille dans mon sac à main. Elle me permet de ne pas oublier l’importance de prendre soin de mon pot. Et donc de moi.
La métaphore du pot de billes vous invite à vous interroger :
- Qu’est-ce qui remplit mon pot de billes ?
- A quels moments je donne des billes ?
- Quelles sont les fuites dans mon pot ?
- A quel niveau est mon pot de billes aujourd’hui ?
- Est-ce que ça me convient ?
- Quel est le plus petit pas possible pour continuer de remplir mon pot sachant que le niveau des billes continuera de fluctuer ?
(Spéciale dédicace à Stéphane qui est le premier à qui j’ai offert un pot en souvenir de nos échanges )
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